J'ai, en 2008, créé et inauguré avec Huis-clos la collection Mes bouquins refermés, pour le Livre pauvre qu'anime l'infatigable Daniel Leuwers. J'ai depuis fait équipage, pour cette collection, avec Henri Droguet: Autodafé - 2009, Jeanpyer Poëls: Âtre - 2009. Aujourd'hui c'est en compagnie d'Hubert Lucot que nous avons tiré un bord, faisant ainsi équipage pour son Parler à l'univers.
Hubert Lucot est né en 1935, il est l'auteur d'un des plus étonnant OVNI de la littérature, Le grand graphe, livre d'une seule page de 12 m2 , aux phrases entrecroisées, d'une liberté et d'une audace inouïe.
Le grand graphe a fait l'objet d'une publication en 1990 aux éditions Tristram. Composé de huit feuilles imprimées en sérigraphie, ce panoramique de 12 m2 est accompagné d'un livre, le graphe par lui-même, version linéaire du Grand graphe, que complètent des textes explicatifs.
Hubert Lucot est l'auteur d'une œuvre importante, celle ci est publiée pour l'essentiel chez P.O.L.
Les portraits affranchis ont été réalisés d'avril à septembre 2004. L'ensemble fait suite à la rencontre avec Alechinsky, dans son atelier, fin octobre 2003. Il s'agissait alors de faire le tri dans les envois postaux expédiés à celui-ci depuis octobre 1997, et d'en préparer une sélection pour une exposition au Musée de la poste, à Paris, en mai 2005. Ce projet chronophage pour l'invitant n'a pas été réalisé.
L'EPISTOLIER
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Pierre Alechinsky et ses invités Michel Butor, Dominique Penloup, Jacques Réda, Wallasse Ting, Christian Dotremont (1922-1979), Joyce Mansour (1928-1986).
A revoir ce jour-là, mes envois timbrés, je prenais conscience qu'au-delà du simple "exercice d'admiration" (Cioran), j'avais tendu un miroir qui tentait, dans une sorte de jeu d'adresse, de fixer dans le même espace l'œuvre et le portrait physique d'Alechinsky. Joyeux méli-mélo-mél art, où je braconnais de plis en replis sur les terres de mon destinataire. Certains de ces envois touchaient les limites propres à cet exercice et demandaient à être précisés, développés. Il me fallait affirmer le propos critique, reprendre le trait... J'allais dans une série de portraits tenter de dégager les éléments propres à l'œuvre d'Alechinsky. A défaut d'autoportrait -le terme n'apparait guère de façon explicite si l'on excepte "Autoportrait sans trait" de 1965-, des photos du peintre allaient me servir de points d'appui. Elles seraient traitées avec une forme de neutralité, loin de cette "dextérité du gaucher" dont parle Alechinsky.
Très vite je m'aperçus de la difficulté de l'entreprise et de ses nombreux écueils: plagiat, parodie, pastiche, me tendaient leurs pièges. Ce n'est pas en allant regarder du côté de Picasso qui s'amusa, entre autres, à revisiter le déjeuner sur l'herbe dans une série de 27 peintures, que j'allais trouver du réconfort, à en juger par ce qu'il avait écrit avant de s'y mettre:"Quand je vois le déjeuner sur l'herbe de Manet, je me dis: des douleurs pour plus tard."
J'ai éprouvé, bien sûr, les douleurs, mais je retiendrai avant tout le bonheur des improvisations et variations propres aux musiciens de jazz quand ils s'emparent d'un thème. Improvisations et variations sur Central Park, ou James Ensor; jeu sur les lunettes (symbole du Cobra, qui traversent l'œuvre); sur les projections d'encre (Pollock n'est jamais bien loin), sur les titres...
Mais je laisse à chacun le soin de découvrir ou d'ignorer les clins d'œil qui émaillent ce travail, qui se veut avant tout un hommage critique. Laquelle s'exerce habituellement par le biais d'articles ou d'études savantes. Dans cette approche et au travers de ces portraits et de leurs études, il est juste proposé de partager l'intérêt porté à une œuvre, tout en donnant l'envie de la découvrir ou de la redécouvrir.
3 de 5 portraits d'Atiq Rahimi enluminés de sa signature
D. Penloup, technique mixte sur papier, 65x50 cm chaque
Les Talents d'Atiq Rahimi sont multiples:cinéaste, photographe, écrivain...Atiq Rahimi fait partie de ces écrivains venus d'ailleurs qui peuplent la littérature française contemporaine dont ils sont de très précieux alliés:Tzara ou Ionesco, Beckett, Sarraute ou encore Makine, Bianciotti, François Cheng, Kundera etc.
Atiq Rahimi a fait une entrée remarquée en littérature avec son premier livre "Terre et cendres" écrit en Persan et édité en 2000 par les Éditions P.O.L. Il en réalisa lui même le film qui reçu le prix "Un certain regard" à Cannes en 2004.
Après trois livres traduits du Persan, c'est avec Syngué sabour -Pierre de patience- qu'il signe son premier livre écrit dans sa langue d'adoption, le français, pour lequel il a remporté le prix Goncourt 2008.
Ce livre est un hui clos où il est question de l'islam et de l'oppression des femmes. Ce très beau roman d'une grande économie de moyens, est, comme l'a souligné Ursula Lesiak,monteuse de Kieslowski (La double vie de Véronique"), de Lars von Trier et également de Terre et cendres, écrit par scènes et par plans.
D'une écriture poétique, ciselée, Syngué sabour est à la fois: monologue, chant, incantation à la liberté qui dépasse largement le cadre de l'Afghanistan.
En toile de fond et en filigrane à l'écriture de ce livre, un lieder de Schubert:"J'ai écrit Syngué sabour en écoutant tous les jours, avant d'attaquer sur l'ordi. "Le chant du cygne", ce lieder de Schubert. Plus tard, j'ai découvert le poème qui a inspiré Schubert. On y lit:"Voilà un homme avec les yeux ouverts et cloués au plafond".
1949 : le poète Christian Dotremont signe, avec le peintre Asger Jorn, l'une des toiles phares du mouvement CoBrA (acronyme de Copenhague-Bruxelles-Amsterdam) qui se distingue par son caractère international. Le format de la toile est de 100x129,5cm. Elle a la particularité de nous donner à voir le titre du tableau où sont mélangés mots et couleurs, en soulignant par là même qu'écrire c'est dessiner.
En voici le titre:
-Il y a plus de choses dans la terre d'un tableau que dans le ciel de la thèorie esthétique.
C'est dans L'ancre de miséricorde -édition Emile-Paul fréres- 1941 que Mac Orlan fait dire à son personnage, Jérôme Bruns, jouant aux échecs avec le père du narrateur:
-Vois tu, il y a plus d'aventures dans une partie d'échecs que sur toutes les mers du monde.
J'ai trouvé dans la correspondance de Joë Bousquet, publiée récemment, Lettres à une jeune fille, Grasset 2008, dans l'envoi du vendredi 21 juin 1946, page 54, cette petite merveille:
-Il y a plus de vérité dans la couleur bleue d'une robe, si elle a gardé une place dans l'imagination, que dans les systèmes philosophiques les plus savants...
Nous avons d'un coté:Mac Orlan -1941
1946 pour Joë Bousquet
A l'autre bout Dotremont & Jorn-1949
A première vue c'est plié en faveur de Mac Orlan. Mais à seconde vue, rien n'est moins sûr. Allons voir chez Williams Shakespeare, Hamlet, acte I, scène V. Hamlet s'adresse à Horatio:-"There are more things in heaven and earth, Horatio, than are dreamt of in your philosophy". Ce qui donne :
-"Il y a plus de choses dans le ciel et la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie".
Portraits de Richard Rognet accompagnés de trois poèmes inédits
65 x 50 cm chaque - technique mixte sur papier.
La poésie de Richard Rognet est d'une savante simplicité, elle dit la fragilité de l'existence, sa quête de l'indicible en proie à l'inquiétude et au doute.
L'écriture, lyrique, d'une douloureuse lucidité , chante de façon bouleversante la nature. Un poète rare. A lire sans plus attendre.
Quelques ouvrages:
Je reviens d’un court séjour à Berlin. Mes pas ont buté sur les stolpersteine de l’artiste Günther Demnig. Ces stolpersteine, sorte de mémorial contre l’oubli de 10cmx10cm sont érigés modestement, encastrés à même le trottoir, face au dernier domicile connu des victimes de la déportation : juifs, tsiganes, homosexuels, opposants politiques et religieux, handicapés… Ces pierres sont recouvertes d’une plaque de laiton comportant le nom, l’année de naissance et une indication sur le lieu de la disparition des victimes. Ces trébuche-mémoire, mieux que toute cérémonie commémorative, donnent par leur présence la dimension de l’atrocité de ces crimes.
Il me fallait agir, transcrire au plus vite cette émotion (j’étais là pour 48h), lui donner corps ; je devais toute affaire cessante en rendre compte, matérialiser ces trébuche-mémoire, instantanés d’émotion. Je voulais pouvoir, à mon retour en France, autrement que par le biais de la photo -trop froid- partager l’indicible de ces petits pavés de laiton, de 10 par 10, plantés çà et là au milieu des pavés de Berlin. Je me suis alors procuré papier pour gravure, mine de graphite et un peu de couleur (bronze) et ai réalisé, à même le sol, à traits rapides, vingt deux estampages.
A mon retour, dans le silence de l’atelier, j’ai repris une à une mes vingt deux planches, intervenant à la marge des carrés estampés sur les trottoir de Berlin.
J’aimerais que ces estampages –échos du travail de mémoire de Günther Demnig-, arrivés par ricochets à la surface de ma feuille, ricochent à nouveau, dans une sorte de mise en abyme, et s’inscrivent dans un livre album qui permettrait au lecteur qui n’aura pas forcément l’occasion de se rendre à Berlin d’être à son tour interpellé.
" dessiner sur une enveloppe ou la transformer, quitte à la rendre méconnaissable, jouer avec la disposition des timbres ou en ajouter de son cru, interpeller le facteur, lui demander entre les lignes de se dépêcher, ces jeux-là sont aussi anciens que le courrier même".
Les Musées de Sens présentent à l'Orangerie une exposition d'Art postal du plasticien Dominique Penloup, une centaine d'envois hors norme expédiés entre 1997 et 2005 au peintre et graveur Pierre Alechinsky.
Dominique Penloup a connu dès les années 1975 le travail de Pierre Alechinsky, mais c'est dans les années 1990 qu'il redécouvre avec bonheur l'expression graphique de l'artiste. Il va chercher à nouer le dialogue à travers une correspondance: "Faisant fi des augures qui ont claironné ou claironnent encore la mort de la peinture, Alechinsky traverse avec sérénité la scène artistique un bol d'encre de chine à la main -souvenir d'un conseil du peintre Walasse Ting- et, quoi qu'il arrive, se penche -souvenir d'un voyage au Japon- sur un papier posé à même le sol. C'est avec la même fougue qu'il travaille la gravure, multiplie les expériences, interroge les supports, fait preuve d'une inlassable curiosité et trouve le temps d'écrire. Difficile de ne pas être fasciné par une telle vitalité, pour moi qui suis peintre".
Dominique Penloup élabore une correspondance originale: des plis d'art postal à partir de collages et de montages d'œuvres de Pierre Alechinsky reproduites dans des catalogues, revues, journaux ou sur des affiches. Mais l'envoi peut être aussi un objet: flotteur peint, branchage, vieux papiers, cadran émaillé d'horloge...Laissant s'exprimer son imaginaire, il évoque l'univers fabuleux du grand artiste, à partir d'éléments détournés: les remarques marginales, les roues, le cobra...
Les huit premiers envois (de septembre 1997 à septembre 1998) furent anonymes, avec pour intention de provoquer la surprise. En fait, Pierre Alechinsky a reçu les premiers avec suspicion: le pinceau fiché dans un flotteur peint semblait inamical...Il semble que le huitième envoi, toujours anonyme (11.08.98.) mais franchement désopilant, ait été apprécié. L'expéditeur se dévoile enfin le 3 octobre 1998, et trois semaines plus tard Pierre Alechinsky lui répond pour la première fois.Cet "exercice d'admiration" (Cioran) se poursuit en 2004 dans un nouveau projet de Dominique Penloup "Les portraits affranchis". Sur des grandes feuilles dessinées à l'encre, il met en présence, dans le même espace, des portraits d'Alechinsky avec des évocations des peintures et dessins de celui-ci.
L'exposition qui se tient à l'Orangerie des Musées de Sens présente l'ensemble des envois postaux et des portraits d'Alechinsky de Dominique Penloup, accompagnés d'œuvres de Pierre Alechinsky, dont l'œuvre majeure Central Park ainsi que plusieurs gravures.
Catalogue: Dominique Penloup: Pastiches et mélanges à partir de Pierre Alechinsky, coédition Art inprogress/Musées de Sens, 128 pages, 30€
Renseignements: CEREP-Musées de Sens- 5 rue Rigault 89100 Sens au 03 86 83 88 90 ou accueil des Musées au 03 86 64 46 22-contact@cerep-musees-sens.net