Je reviens d’un court séjour à Berlin. Mes pas ont buté sur
les stolpersteine de l’artiste Günther Demnig. Ces stolpersteine, sorte de mémorial
contre l’oubli de 10cmx10cm sont érigés modestement, encastrés à même le
trottoir, face au dernier domicile connu des victimes de la déportation : juifs,
tsiganes, homosexuels, opposants politiques et religieux, handicapés… Ces pierres
sont recouvertes d’une plaque de laiton comportant le nom, l’année de naissance
et une indication sur le lieu de la disparition des victimes. Ces trébuche-mémoire,
mieux que toute cérémonie commémorative, donnent par leur présence la dimension
de l’atrocité de ces crimes.
Il me fallait agir, transcrire au plus vite cette émotion (j’étais
là pour 48h), lui donner corps ; je devais toute affaire cessante en
rendre compte, matérialiser ces
trébuche-mémoire, instantanés d’émotion. Je voulais pouvoir, à mon retour en
France, autrement que par le biais de la photo -trop froid- partager
l’indicible de ces petits pavés de laiton, de 10 par 10, plantés
çà et là au milieu des pavés de Berlin. Je me suis alors procuré papier pour
gravure, mine de graphite et un peu de couleur (bronze) et ai réalisé, à même
le sol, à traits rapides, vingt deux estampages.
A mon retour, dans le silence de l’atelier, j’ai repris une
à une mes vingt deux planches, intervenant à la marge des carrés estampés sur
les trottoir de Berlin.
J’aimerais que ces estampages –échos du travail de mémoire
de Günther Demnig-, arrivés par ricochets à la surface de ma feuille, ricochent
à nouveau, dans une sorte de mise en abyme, et s’inscrivent dans un livre album qui
permettrait au lecteur qui n’aura pas forcément l’occasion de se rendre à
Berlin d’être à son tour interpellé.